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9 janvier 2009 5 09 /01 /janvier /2009 15:58
Contactée par Courts Circuits, cercle d'innovation participatif, il m'a été proposé de réfléchir au storytelling dans le cadre d'un rapport d'innovation collectif avec d'autres professionnels de la création, des médias, de la communication, du marketing et de l'innovation. Evidemment le sujet m'a intéressé et j'ai choisi de travailler plus particulièrement sur les entreprises.

Je vous propose ici ma copie dans sa version intégrale. Vous pouvez également retrouver l'ensemble de ce rapport sur le site de Courts Circuits (lien en fin d'article).


 Les récits en entreprises, à la recherche du sens perdu

 

Qu'il soit question d'entreprise ou d'autre forme d'organisation, les récits ont constitué depuis l'antiquité une mémoire collective des faits professionnels. S'il s'agissait autrefois presque exclusivement de traités sur les savoir-faire (1), les récits parlent aujourd'hui de tous les domaines et prennent appui sur de nombreux supports, du papier au web en passant par le téléphone portable et bien sûr, l'audiovisuel; n'oublions pas que l'un des premiers films de l'Histoire du cinéma est...un film d'entreprise. En tournant « La sortie de l'Usine Lumière à Lyon», les frères Lumière nous donnaient à voir le premier récit filmique d'entreprise. Nous faisions donc déjà du storytelling sans le savoir, comme M. Jourdain avec sa prose ?

 

Aujourd’hui l'économie mondialisée confronte les organisations à de nombreux bouleversements. La notion de travail a de fait subi de lourdes modifications et atteint la qualité de la vie. Est-ce que le récit peut être une démarche stratégique envisageable pour changer le monde de l'entreprise et l'aider à se renouveler ?

 

États des lieux

 

Les formes de récit sont nombreuses. Écrit ou oral, fictif ou réel, un récit est avant tout un acte de narration. Ce que le storytelling propose de considérer différemment, c'est que les récits dans l'entreprise forment un système d'information à part entière. Le Storytelling considère le fait que cette manne informationnelle peut être exploitée sous forme d'organisation narrative afin d'améliorer l'efficacité de l'entreprise. C'est ce qu'on appelle l'approche narrative.

 

 

Une entreprise, ce sont des salariés, des dirigeants, des produits, des clients et des prospects, des syndicats et des organisations patronales, une culture, des cultures, des connaissances, un endroit, un réseau...Bref, une entreprise est un système complexe. Son développement repose sur les nombreuses interactions qu'elle entretient à l'intérieur du système et avec ses contextes, qu'ils soient politique, économique, financier, social, psychologique, sociologique...l'affaire n'est pas mince.

 

Catherine Gheselle Etat des lieux

 

 

L'entreprise : identité, mémoire, culture d'entreprise, voici quelques uns des ingrédients qui composent les histoires des entreprises. Généralement un des ingrédients majeurs de la communication de l'entreprise, l'histoire de la « boîte » se décline souvent sur la page d'accueil d'un site, sur une plaquette, dans des articles de presse, des showroom ou des musées dédiés. Le récit patronal peut s'y inviter. Dérive de la peopolisation, c'est même de plus en plus courant. Un nouveau magazine vient d'ailleurs de voir le jour : « h.e., le magazine des histoires d'entreprises et des entreprises dans l'histoire" (2). Autre nouveauté,  au-delà du récit d'entreprise, le roman d'entreprise : sur la base d'un scénario pré-établi et paramétrable, l'entreprise peut se mettre en scène dans un univers fictionnel personnalisé. Ce concept élaboré par la société Comédia (3) a reçu le trophée de l'innovation technologique. L'identité de l'entreprise se construit sur le récit, réel ou fictionnel. Elle énonce également une représentation des humains et des produits qui la composent. Par exemple, travailler chez Michelin, c'est devenir un « bib », un personnage de l'histoire de l'entreprise.

 

Les salariés : l'entreprise, ou toute autre forme d'organisation, est avant tout un ensemble d'êtres humains dont l'intention doit converger vers le même but : se développer de façon pérenne et épanouissant e. Les salariés d'une entreprise se racontent pour se faire embaucher, voici leur premier récit. La relation communicationnelle entre les salariés et l'entreprise constitue un des axes les plus importants. Les relations interpersonnelles sont également des possibilités de se raconter, de partager des expériences, des doutes ou des souhaits. Ce sont des récits non formels qui ont lieu bien souvent autour de la machine à café ! L'émission « Pause café » raconte ce qui se joue à cet endroit stratégique de l'entreprise. N'est-ce pas là, dans ces lieux de convivialité, que s'échangent les récits qui bâtissent la confiance ? Les salariés communiquent aussi beaucoup par messagerie interne. Ces éléments sont parfois récupérés, parfois à l'insu des salariés, pour évaluer divers aspects de la communication. Le journal interne raconte aussi ce qui peut faire lien entre les salariés. Très souvent, le blog du salarié peut être le prolongement du récit professionnel, sauf restrictions de confidentialité imposées par l'entreprise.d'organisations ne parviennent pas à une mise en oeuvre à cause notamment de lacunes dans le domaine de l’apprentissage collectif, souligne Eddie Soulier (4). Pour gérer ces connaissances, le chercheur imagine un Système d'Informations pour la Mémoire Organisationnelle qui doit permettre de créer au sein de l'organisation une construction coopérative des récits afin de pouvoir faire partager à tous ces membres les expériences de certains. Les recherches d’Eddie Soulier soulèvent des pistes méthodologiques intéressantes et notamment le fait de considérer l’organisation comme une narration où le management est appréhendé comme une pratique discursive.

 

 

Thierry Boudès, professeur à l'école de management ESCP-EAP et Dominique Christian, directeur de Difer Conseil proposent de considérer la mise en récit comme outil de management du projet (5). Au delà de la mise en commun des apprentissages évoqués ultérieurement et du renforcement de la motivation, les auteurs pointent le fait que la mise en récit du projet autorise une mise à distance du réel, ce qui peut permettre de mieux appréhender les critiques et de mieux communiquer avec les personnes extérieures au  projet. Raconter son projet, c'est aussi s'assurer de sa compréhension et donner du sens à l'expérience.

 

 

Consommateurs et usagers sont également conviés à retracer le récit de leurs expériences avec l'entreprise ou le produit. Ces récits peuvent évoquer des satisfactions mais aussi des doléances voire des réclamations pouvant parfois émaner d'associations de consommateurs. Les impressions des clients sont de la plus haute importance pour les départements marketing et communication mais aussi pour les services recherche et développement ou qualité. Elles permettent de situer la relation qui existe entre le consommateur et la marque. N'oublions pas que tout consommateur est aussi un salarié. Il dispose d'un modèle au sein de l'entreprise qui l'emploie. Généralement les salariés sont très attachés aux produits diffusés par leur entreprise car ils sont acteurs de leur mise sur le marché. Lorsqu'ils goûtent à de nouveaux produits ou dans l'évaluation de leurs produits habituels, ils ont souvent l'habitude de comparer aux savoir-faire de leur propre entreprise, à son image de marque, à l'aura de ses produits.

 

Les récits sur les produits peuvent avoir des influences certaines sur les individus que nous sommes. De notre enfance, nous avons tous retenu une histoire de produit qui nous trotte dans la tête. Je repense toujours avec bonheur à ce magnifique album illustré que m'avait offert la crémière et qui retraçait les histoires de La Vache qui rit. Placer le produit comme acteur au sein d'un récit peut être plus attractif que de déployer des argumentaires industriels ou autres de façon linéaire. Certes mais le récit ne doit pourtant pas évincer ces derniers aspects.

 

Le récit de crise est le parent pauvre de la narration de l'entreprise. Dommage, cette dernière gagnerait à s'expliquer et à raconter aussi quand tout va mal. Ainsi, elle ne néglige pas un des facteurs importants à prendre en compte, celui de la relation. Car nous avons parlé des acteurs, certes, mais n'oublions pas ce qui relie les acteurs entre eux. Est-ce que vous connaissez beaucoup de banques qui ont pris soin de communiquer immédiatement avec leurs clients pour les rassurer au début de la crise ?

L'histoire que l'on racontera au coeur de la tourmente doit être parfaite. Elle demande du courage, une maîtrise certaine de la production de contenus narratifs et une réaction immédiate, dans l'urgence, quand d'autres problèmes semblent plus importants. Elle nécessite conscience et sens des responsabilités. Mais une fois bien lancé, le récit de crise permet de restaurer et de maintenir une confiance qui pourrait être perdue sinon.

 

La liste des récits en entreprise se décline à l'infini. Même la prière est invoquée aux États-Unis pour sauver l'industrie automobile ! Est-ce que le storytelling permet de restaurer un sens par rapport au fait de consommer ou de travailler aujourd'hui, dans des conditions sociétales qui se sont dégradées ? Est-ce qu'il permet une authentique relation entre les différents acteurs ? Est-ce que l'exploitation des récits en entreprise prend assez en compte la dimension de la relation qui existe entre eux ou la nécessaire approche globale que rend indispensable la complexité de notre monde ?

 

Il n'en reste pas moins que le travail dans les organisations, c'est aussi "faire l'expérience de l'absence de cohérence voire de contradictions entre les discours portés par les différents concepteurs de travail". C'est le constat fait par Philippe Davezie (6). Il ajoute même que le phénomène est banal.

Si nombre d’entreprises échouent, souligne Eddie Soulier, c'est notamment à cause de leurs lacunes dans le domaine de l’apprentissage collectif. Une réalité collaborative où adviendrait la nécessaire émergence de sens ?

 

Narration

 

Dans un récit, le narrateur a toujours l'avantage. Non seulement il connaît les éléments, la progression mais aussi l'intention.

 

Connaissez-vous cette comptine ? Pince-mi et pince-moi sont dans un bateau. Pince-mi tombe à l'eau. Qui est-ce qui reste ? Évidemment, si on répond, on se fait pincer. Cette comptine illustre le fait que dans un récit, il y a souvent un perdant que le narrateur désigne de fait. Force est de constater que dans l'entreprise, le narrateur est le plus souvent le patron de l'entreprise. En tous cas, c'est son intention qui est véhiculée. Les histoires peuvent être des leurres et prétextes à manipulation. On se souvient tous de la petite phrase sur la vocation des spectacles télévisuels à préparer du temps de cerveau disponible pour Coca-Cola (7).


Comme le précise Umberto Eco l’intention du texte est "le résultat d’une conjecture de la part du lecteur" (8). Si le récit est un objet construit chemin faisant lors de l'interprétation, il n'empêche qu'il est nécessaire de trouver chez l'auditeur l'implication qui fait défaut en période de rupture de confiance ou quand les éléments narrés sont erronés.

 

Si la distance entre l'espace diégétique et extradiégétique se rétrécit, cette zone flottante entre le récit et le réel existe toujours et nous permet de distinguer le vrai du faux. Nous abreuver de scénarios imposés ne réussira qu'à normaliser et à uniformiser les besoins. Quel est l'intérêt pour les marques ? D'autre part, le récit dans l'entreprise n'aurait-il pas pour intention de cacher le récit sur l'entreprise ? Pour ne considérer que la production filmique, toutes les oeuvres traitant de ce sujet pose un regard très critique sur l'entreprise (9).

 

Éthique

 

A qui profite le scribe ?

 

Dans les textes qui retracent de la gestion et de la capitalisation des connaissances dans les organisations, par exemple grâce aux récits d'apprentissages, l’accent est mis sur le gain en productivité pour l’entreprise. Qu’en est-il pour l’individu ? A l’heure où l’entreprise cède à la délocalisation, peut-on encore parler de partage de connaissances ? A l’heure des multiples licenciements, en dépit des bénéfices réalisés par l'entreprise, la capture des récits du personnel ne s’apparente-t-elle pas à une destitution supplémentaire ? Il est vrai qu'il est innovant d'utiliser les récits pour le partage des connaissances. De plus, le management des connaissances est un véritable enjeu stratégique pour l'entreprise. Mais en lieu de partage, cela ressemble parfois plutôt à de la vampirisation...Il peut sembler que l’utilisation du récit ne soit qu’un prétexte à recueillir ce qui semble important pour l’entreprise.

 

Dans le contexte de notre système anémié, où l'individu est soumis aux pressions de la production, à la dépersonnalisation, à la menace du chômage et de la précarité, la capture des récits peut induire l’impression d’un flicage, l'impression d'une évaluation des compétences en place du partage des connaissances. Où est la motivation pour l’individu ? Comment pourra-t-il s'épanouir dans ce contexte ? Comment, des lors, fabriquer de bons produits, des produits dont on soit fier, des produits que l'on ait envie d'acheter ?

 

Si l'entreprise m'était comptée

 

Pince-mi délocalise, qui est-ce qui reste ? Aïe ! La situation actuelle n'est pas reluisante. On ne compte plus les plans sociaux. Les désidératas des actionnaires sont privilégiés à l'insu du bien-être du salarié. Les employés Unilever de l'entreprise de moutarde Amora-Maille défilaient récemment après l'annonce de la fermeture de l'usine de Dijon. Sur leurs panneaux était écrit :« Unilever, ta moutarde nous monte au nez ». En lisant cette inscription et en constatant ce glissement de l'adjectif possessif de « ma » vers « ta », j'ai compris qu'il fallait remettre l'humain au centre du débat. C'est lui qui porte la marque, le produit. Quand on lit une telle mise à distance avec un produit qu'on fabrique, qui nous fait vivre et qu'on aime, on comprend la schizophrénie dans laquelle sont plongés les « ressources humaines ».

 

L'entreprise Tereos, ex Béghin-Say, annonce la fermeture de son usine de Nantes pour 2009. Plus de 170 personnes seront licenciées annonce la presse. Le site nantais réalise pourtant un chiffre d'affaires de plus de 150 millions d'euros. Sur le site internet Tereos, rien n'est dit sur cette décision. Pourtant il est précisé que l'usine de Nantes, spécialisée dans le raffinage du sucre de cannes emploie 173 personnes pour une capacité journalière de 600 tonnes.

 

Chez Air France, les pilotes d'avion se sont mis en grève devant l'annonce d'allongement de leur durée de travail, jusqu'à l'âge de 65 ans, alors que chez PSA Peugeot Citroën, la direction appelle les volontaires à partir plus tôt en retraite, dans le cadre du dispositif de « départs volontaires » (sic) qui concerne 3550 emplois.

 

Intermarché : le personnel d'un magasin près d'Evreux s'est mis en grève quand la direction a annoncé que le magasin serait désormais ouvert les dimanches matins. La majorité du personnel se mobilise pour demander à être payé double et pour proposer que seuls les volontaires viennent travailler le dimanche.

 

Sony, dans les Landes : 312 salariés ont appris leur licenciement alors qu'ils s'apprêtaient à embaucher. Ils s'en doutaient un peu, confient-ils, mais la direction ne disait rien à ce sujet, restant muette jusqu'à l'annonce du licenciement effectif.

 

Valéo prévoit des fermetures de sites, Arcelor Mital fermera l'usine de Gandrange, Renault, Ford...Tous les jours, nos journaux télévisés, transformés pour le coup en feuilletons de la vie de l'entreprise, nous « comptent » les mauvaises nouvelles qui frappent notre civilisation.

 

Et si l'approche narrative ne servait qu'à masquer une réalité dérangeante ? Alors le Storytelling ne serait pas une solution mais simplement un cataplasme sur une jambe de bois.

 

Remettre l'humain au centre du récit

 

Pourquoi ne pas utiliser le storytelling, il rencontre un tel engouement. Des initiatives, des démarches créatives, des approches collaboratives, une démarche éthique, voilà ce qui est nécessaire et comme dit Paul Millier dans son ouvrage « L'antibible du marketing et du management », une bonne dose d'impertinence et de rigueur pour chasser l'uniformisation de la pensée.

 

Catherine Gheselle - Remettre l'humain au centre du récit

 

Avant tout, il faut replacer l'homme au centre du récit. Ce n'est pas le produit la vedette, c'est la femme ou l'homme qui l'imagine, qui le fabrique, qui le vend, qui l'achète, ce sont les valeurs humaines qui l'accompagnent. Certaines histoires sur les produits, dans la publicité multimédia et audiovisuelle par exemple, sont véhiculées par des valeurs humaines qui réveillent notre émotion et nous font adhérer au produit. Ainsi les employés du centre de Recherche et Développement Motorola de Rennes cherchent eux-mêmes un repreneur à travers une comédie musicale mise en ligne (http://rd.center.free.fr/buzz.html) dans laquelle ils vantent leurs produits et leurs qualités humaines. Et ça marche, on se sent vraiment emporté par le récit de ces personnes. Il faut vraiment replacer l'humain au centre du récit.

 

Dans cette période de crise où les plans sociaux se succèdent, que les entreprises n'oublient pas que leurs ex-salariés sont des consommateurs, que leur confiance est perdue et qu'ils se battent pour défendre leur pouvoir d'achat. Or le pouvoir d'achat est la cause du pouvoir de consommation. Ce n'est pas travailler plus qui est nécessaire mais c'est travailler moins ou mieux, pour penser mieux. La relation de confiance ne peut advenir que dans une répartition plus juste des profits et un arrêt des abus en tous genres : parachutes dorés, stock options en cadeaux, salaires faramineux...Remettre l'humain au centre du récit, remettre le respect de l'humain au centre du récit semble impératif. Rétablir une politique de civilisation et oeuvrer pour la métamorphose (10), sans doute la première histoire à réinventer avant de passer à d'autres.

 

 

Catherine Gheselle, 18/12/2008

Auteur rédacteur multimédia

Web designer - infographiste

 

Voir le dossier complet


 Bibliographie : 

 

(1) Nombreux traités sur l'agriculture avant JC :Hésiode, Caton l'Ancien, Palladius...

(2) http://www.histoire-entreprises.fr/

(3) http://www.romandentreprise.com/

(4) Eddie Soulier, (chercheur à l'ISTIT, travaille sur le Storytelling) « Les récits d'apprentissage et le partage des connaissances dans les organisations: nouvelles pistes de recherches », Revue SIM 2000 vol.5 n°2

(5) « Du reporting au raconting dans la conduite de projet » Annales des Mines, mars 2000

(6) P.Davezies exerce au Laboratoire de Médecine du Travail et à la Faculté de médecine de Lyon.

Le texte dont ce propos est issu (Eléments de psychodynamique du travail) a été diffusé à la réunion de

la Société de médecine du Travail de Midi-Pyrénées.

(7) Patrick Le Lay, PDG de TF1, « Les dirigeants face au changement ».

(8) Umberto Eco, Interprétation et surinterprétation, PUF Paris, 1996. Op. cité p58

(9) Pour n'en citer que quelques uns : « Entre les murs », Laurent Cantet, « Le couperet », Costa Gavras, « Attention danger travail », Pierre Carles, Christophe Coello et Stéphane Goxe

10) Edgard Morin, « Pour une politique de civilisation », 2008

 

Illustrations : conception et réalisation Catherine Gheselle


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28 janvier 2006 6 28 /01 /janvier /2006 17:52

Catherine Gheselle
Collage numérique

ou comment le simple advient dans le complexe

        
     par Catherine Gheselle                                                                                   

    Peut-on conduire entièrement un projet par l’approche systémique ? La question est posée à travers l’exemple d’un projet de communication pour une future entreprise en incubateur évoluant dans le monde de l’innovation technologique.

    Chemin faisant,  d’autres méthodes se sont révélées plus adéquates que les implacables recettes analytico-cartésienne. En passant par l’étude de l’innovation et celles des systèmes, une approche méthodologique différente s’est ébauchée pour traiter le cas évoqué. Ce parcours initiatique s’est fondé en grande partie sur les travaux des chercheurs en approche systémique et plus particulièrement en modélisation de systèmes complexes qui apparaissent devoir s’imposer aujourd’hui comme un mode de pensée universel  permettant de repenser le monde et de changer les mentalités.

 MOTS CLES : Approche systémique, complexité, modélisation, gestion de projets

 
 ABSTRACT : Could we entirely lead a project by the systemic approach ? The question is put through the example of a communication draft for a future company based in an incubator evolving in the world of the technological innovation. Making way, owe the complexity of the evoked situation, other methods appeared more adequate than the sacro-holy receipt with to do everything analytico-cartesian.

While passing by the study of the innovation and those of the systems, a diffferent methodological approach was outlined to treat the evoked cas. This initiatory course was based mainly on work of the researchers in systemic approach and more particulary in modeling of complex systems which appear duty to be essential today like a universal way of thinking making it possible to reconsider the world and to change mentalities.

 KEY WORDS : Systemic approach, complexity, modeling, project management

 
1. Introduction
 
Si l’on considère le seul champ de l’entreprise, peut-on tenir l’approche systémique pour mode de pensée structurant toute conduite de projet, au niveau de la communication, de l’organisation, de la gestion ou de la connaissance ? Ce dont nous avons besoin dans l’art de mener des projets, c’est d’ouvertures permettant une meilleure approche globale, gérée par quelques principes qui illustrent le moyen de construire par la pensée complexe de nouveaux possibles dans le champ entrepreneurial mais aussi humain ;  tout empêtré qu’il est dans sa pensée rationnelle, le monde s’essouffle car il ne sait inventer en situation.
 

 

Peut-on voir dans l’approche systémique une clé pour opérer la conduite de projets ? Cet article ne se prétend pas être un guide opératoire traitant chacun des domaines de  l’entreprise mais, en nous appuyant sur un cas concret, nous illustrerons chemin faisant la faisabilité et l’effectivité de l’approche, en relevant les endroits où les passerelles sont à construire pour optimiser nos voyages projectifs. A la façon d’un Stevenson racontant son périple dans les Cévennes , le récit qui va suivre est à prendre au sens initiatique où, rétroactivement, l’analyste-voyageur rend compte des interactions entre le système (les Cévennes), le projet (le voyage), l'intention et la connaissance (Stevenson et Modestine !). Qu'on me pardonne cette métaphore mais le projet tout comme le voyage initiatique ne sont-ils pas de merveilleux moyens de locomotion ?

 . Dès lors, l’analyse systémique, puisqu’elle tient compte des interactions avec les environnements du système, semble proposer une approche du réel satisfaisante. Le modèle systémique peut aider à la compréhension des problèmes tenus pour complexes. Ceci dit, il convient de noter qu’il existe plusieurs variantes en fonction du domaine d’intervention et que l’on n’utilisera pas la même approche systémique si l’on intervient dans le champ de l’économie, dans celui de la communication, de l’organisation ou de la connaissance, pour ne citer que ceux qui entretiennent un lien avec l’Entreprise. Les principes sont différents. Et cela peut compliquer la tâche. Il devient vite fastidieux pour un chef de projet d’employer les méthodes à la lettre. Ceci dit, si l’on ne s’égare pas de l’esprit systémique et qu’on peut repérer dans les méthodes les outils qui nous seront utiles, on s’autorise déjà à produire une réflexion intelligente. Cet article n’aura donc pas la prétention de livrer une méthode unique et complète mais au contraire d’inciter à suivre les pistes exposées, à se les approprier pour en bâtir des outils enrichis de fonctionnalités personnelles.

 

3. Le contexte du projet
 
  Comment une entreprise qui n’en est pas encore une peut communiquer sur son produit qui n’est encore qu’un objet technique, c’est à dire un pur objet de laboratoire, certes peut-être efficace mais ne correspondant à un aucun besoin ? C’est pourtant ce qu’elle réclame. Le paradoxe est incontournable. Une non-entreprise, sans nom, sans produit, sans passé, sans mémoire donc…ET, ce qui paraissait le plus urgent à résoudre aux yeux de la future dirigeante, sans outil de communication. Ah ! On a tant dit qu’il fallait communiquer, communiquer à tout prix , envers et contre tout.

Mais communiquer sur quoi ? sur qui ?


E.Morin, La Pensée complexe, ESF Editeur, 1990

 



               Fig. 2 : Quelques systèmes complexes…

 
4 Approche systémique des communications
 

Tout naturellement, nous commençons par analyser l’aspect communicationnel. Non pas pour répondre d’emblée aux questions précédemment posées mais pour nous attacher à décrire la nature et le contenu des relations dans le système.

Cette immersion se fait par l’approche systémique. Comprendre par ce biais le système des relations nous a permis d’entrevoir certains éléments qui allaient fonder notre démarche future. En effet, Alex Mucchielli nous enseigne, dans le prolongement de l’école de Palo-Alto,  que tout phénomène véhicule un sens dans son contexte et que cette « contextualisation systémique des relations » peut permettre au consultant d’obtenir, par recadrages, un éclairage des problèmes qu’il se propose de résoudre.

Les Sciences de l’Information et de la Communication fournissent des concepts et des méthodes pour analyser l’aspect communicationnel. Nous constatons l’ampleur des problèmes épistémologiques car les théories sont nombreuses. Il faut donc décider : le pragmatisme nous guidera vers les théories susceptibles de répondre à nos attentes. Cela peut paraître un peu opportuniste. Mais comment faire ? Car si nombres de chercheurs souhaitent l’apparition de « super théorie englobante » pour reprendre les termes du professeur Mucchielli, nous constatons qu’une « guerre des gangs » pointe alors l’aspect contradictoire du discours. Car chacun aimerait faire adopter sa recette. Sur le terrain, la gestion des projets par l’approche systémique s’en trouve compliquée. Nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.

 
4.1 Postulat de la réalité complexe
 

L’approche compréhensive, fondée sur le sens des phénomènes, permet de donner à la réalité une dimension différente. Ainsi, on reconnaît dans ce positionnement une redéfinition de la réalité et une méthode capable de relever le « défi de la complexité », proposées par Edgar Morin . Les postulats de ce positionnement permettent l’émergence de cette complexité ce qui fera apparaître « l’ordre simple » qui la gouverne.

Dans le cadre de notre analyse, nous prenons donc en compte le fait que la réalité n’est pas unique, ni objective, ni donnée mais qu’elle est une construction de sens collective, en perpétuel mouvement de par ses interactions et causalités. On peut dès lors introduire la notion de système et compter sur une nouvelle heuristique pour découvrir le sens d’un réseau de phénomènes non gouvernés par une causalité linéaire. Nous sommes bien loin du modèle émetteur-récepteur.

 
4.2 Les grandes lignes de la méthode
 

Ensuite, si l’on veut étudier les phénomènes communicationnels, il conviendra encore de choisir une méthode. La méthode constructiviste permet une approche qualitative qui se base sur le recueil d’informations, leur description, leur analyse pour laisser advenir le sens de ces phénomènes qu’il conviendra de croiser aux systèmes environnants (analyse par contextualisation) pour en saisir la globalité. L’objet n’est pas ici de détailler toutes les étapes de l’approche systémique des communications mais d’en privilégier quelques unes particulièrement dynamiques qui ont fourni des conclusions prégnantes.  Même si elle n’était pas tout à fait adaptée à notre contexte, la méthode de l’hypertexte décrite par Mr Mucchielli a permis aussi quelques approches du réel intéressantes. Comme elle postule de l’existence d’un débat latent inconnu, elle permet la révélation d’éventuelles problématiques.

 

4.2.1 Recueil d’informations et analyse

 

La phase de recueil d’informations peut sembler fastidieuse. En effet, à ce stade de l’étude, on ne peut distinguer quels éléments sont à retenir et lesquels ont peu ou pas d’importance ; de ce fait, il faut tout enregistrer, même ce qui peut paraître insignifiant. Certains éléments sont peut-être la clé de voûte d’un sens caché. Tout est porteur de sens, tout phénomène a une importance, encore faut-il trouver quel système illustre cette importance. Les informations (les commentaires) peuvent prendre des formes aussi variées que textuelles, visuelles, orales, matérielles, spatiales, temporelles, organisationnelles, socioculturelles, gestuelles, comportementales ; bref tout ce qui est «construit humain, expression d’intentionnalités explicites ou latentes ». Le matériau peut être riche ce qui stimule l’analyse. Par la démarche empathique qui l’accompagne, cette méthode est enthousiasmante. Dans notre cas, cette première phase pointe surtout les enjeux et les relations entre les acteurs à travers quelques processus communicationnels récurrents. Cela fournit la base d’une série d’entretiens plus directifs avec les divers acteurs.

 
4.2.2 Emergence du sens par contextualisation
 

La phase suivante consiste à analyser les significations par contextualisation. Cette phase est plus complexe vu qu’elle doit permettre l’établissement intellectuel d’un réseau entre toutes les informations afin d’en délivrer le sens. C’est ainsi que nous avons pu être éclairé sur l’immaturité de la jeune personne qui nous confiait le projet de communication évoqué. La suite le confirmera, c’est bien grâce à l’analyse du contexte des communications que les premières significations ont à nouveau pris sens dans l’évolution des situations. L’intérêt évident est que, comprenant certaines situations, l’équipe d’analystes peut prévoir des stratégies adaptées, voire adaptatives. Nous savions qu’il nous faudrait être non seulement des chefs de projet mais encore des formateurs, des décideurs, des conseillers et des prescripteurs.

 

L’analyse systémique des communications nous permet ainsi de comprendre que la future entreprise, hébergée actuellement en incubateur, ne manque pas seulement de maturité mais aussi peut-être de motivation pour quitter le nid douillet. Il y a une interrogation existentielle latente qui remet forcément en cause la fiabilité de notre commanditaire et qui fait ombrage autant à l’épanouissement de ses éventuelles capacités managériales qu’à l’effectivité de notre dispositif.. De plus, ces constats doivent être conjugués à un marché difficile. Il faut déjà beaucoup de motivation pour créer une société classique et pour assurer sa pérennité. Que faut-il dire du domaine de l’innovation technologique ? Ce n’est plus simplement de motivation dont il est question mais peut-être de quelque chose qui s’apparente à de l’acharnement teinté de folie ! Précisons que la future dirigeante est seule. C'est-à-dire qu’elle doit cumuler les activités de recherche et de développement ET les activités managériales et de gestion classique.

 
4.2.3 Une problématique plus large
 
Répondre à une demande de produit communicationnel, telle était, nous semblait-il, notre mission. Elle s’étendait désormais à un champ plus vaste. Certes ces fonctions n’étaient pas de notre ressort. Mais d’elles dépendait le succès de la construction de nos projets ultérieurs. L’approche systémique des communications a « facilité » la compréhension d’une situation en la « complexifiant ».
 La situation de départ étant maintenant éclaircie, il nous faut nous atteler à la demande : construire un outil communicationnel. Pour cela, nous décidons d’analyser une étude de marché réalisée par des étudiants quelques temps auparavant. Les résultats sont décevants. Nous ne pouvons rien obtenir de ces données empilées dans des tableaux, réduites à l’état de pourcentages qui semblent dire tout et son contraire. Véritablement inexploitables.
Il est vrai que le procédé est spécifique. Il est né des recherches d’un professeur qui a ensuite transmis le projet à une de ses étudiantes. Le procédé permet de déterminer XXXXXXXXXX  (données confidentielles).
 
5. Approche systémique du domaine marketing
 
5.1 Spécificité du marketing de l’innovation
 

Maintenant qu’il y a des spécialistes du marketing     de        l’innovation,     peut-être ne
verra-t-on plus ces étudiants, certes de bonne foi, arriver dans les entreprises avec des cohortes de remèdes et, ayant à peine utilisé leur stéthoscope, se mettant directement à appliquer la fameuse étude de marché comme un cataplasme magique. Hélas, trois fois hélas, même si l’effet placebo fonctionne un temps, force est de constater que le mal revient au galop et que de tous ces chiffres de la segmentation opératoire, on n’aura rien pu tirer qui permette de lever le voile sur des marchés fabuleux ou même sur des niches riquiqui…Les innovations peuvent révolutionner le monde mais elles représentent aussi des risques énormes pour l’économie d’une entreprise. Le domaine de l’innovation technologique est encore plus insoumis. Il n’utilise pas les mêmes stratégies. Certains l’auront appris à leurs dépens, comme un certain R.Diesel qui se suicide faute de ne pouvoir vivre de sa création, un certain moteur qui équipe maintenant la moitié du parc automobile.

Là encore, les méthodes commencent à garnir les rayons des libraires traduisant une volonté de prise en compte différente du réel. Nous avons parlé plus haut du considérable taux de défaillance dans l’Entreprise. Il faut bien avouer que bien souvent, c’est la fonction marketing qui est pointée du doigt. Mal exploitée, elle oriente la stratégie de développement sur des axes mal adaptés. Lancée sur des rails peu appropriés, l’entreprise va de Charybde en Scilla pour disparaître complètement.

 
5.2 Le marketing : un domaine peu approché par la vision systémique
 

On peut toujours retenir l’approche systémique mais force est de constater que dans le champ du marketing, on ne trouve pas trop de trace de recherches appliquées. La stratégie marketing de l’innovation technologique est séduisante. Elle réclame plus de créativité. Elle fait une large part à l’intuition et à l’originalité. Le client devient un associé et le produit existe bien avant sa mise sur le marché. Et enfin, puisqu’à terme, dès qu’il aura trouvé son marché, il ne sera déjà plus un produit innovant, on peut convenir avec Paul Millier que l’innovation doit être géré comme un état transitoire entre le développement et la commercialisation .

 
5.2.1 Ebauche d’une méthode d’inspiration systémique
 

La stratégie d’approche de Paul Millier, même si elle ne s’en réclame pas explicitement, a beaucoup à voir avec l’analyse systémique. Ainsi, voici quelques indices qui confortent ce sentiment :

- Refus du découpage de la réalité et du    déterminisme

- Refus des approches par trop quantitatives

- Refus de démarches par trop linéaires

- Reconnaissance du caractère unique de chaque    problème

- Approche compréhensive et descriptive

- Prise en compte d’un contexte plus large qui      fait état de l’intercompréhension humaine

- Importance de l’ « inter » (notamment inter relationnel) et donc prise en compte de tous les phénomènes environnants (perturbations créées par l’irruption d’un produit innovant dans les habitudes du marché, celles des fournisseurs et des clients).

- Volonté de développer une nouvelle vision du monde et en particulier du monde du travail.

- Actions élaborées chemin faisant, s’auto-analysant et s’auto-produisant, en interaction et en collaboration avec le système.

- Prise en compte de l’incertitude comme un acteur du processus conceptuel

 

Nous retrouvons des vecteurs de l’approche des systèmes complexes.

Pour Millier, « Rien n’est donné, rien ne va de soi, tout est construit ». Un homme qui cite Bachelard peut trouver auprès de nous quelques crédits !

 
 
Fig.3 : Dénonciation de la mécanisation du travail, « Métropolis » de Fritz Lang, 1926
 
5.2.2 Plan d’actions marketing
 

Nous nous apprêtions à employer des méthodes classiques alors que nous sommes amenés après l’étude de cet ouvrage à les remettre en cause et à dénoncer la vision traditionnelle et causaliste de l’offre et de la demande. Il s’agit bien d’une approche systémique et constructiviste.

Tout d’abord l’approche systémique des communications  nous a permis de pointer des niveaux de complexité avec lesquels il faudra composer, c'est-à-dire dans la conception de nos actions, car le projet ne peut être réduit à un objet, on ne peut le comprendre que dans son système et dans ses interactions.

Le domaine de l’innovation ne suit pas les chemins du marketing classique qui ne peut fonctionner que pour des marchés existants. Interprétée sous l’angle systémique et constructiviste, la méthode de Paul Millier pointe aussi les niveaux de complexité
 

Devant les limites imposées à notre première approche, cette phrase de Jean-Louis Le Moigne apparaît comme une bouée de sauvetage : « Si l’on vous dit : tel problème, répondez : quels projets ? »

 

6  Nouvelle orientation stratégique

Conjuguant les résultats de la méthode systémique appliquée à l’étude des communications, l’étude du champ de l’innovation et notre impossibilité dès lors de répondre à la demande initiale, nous sommes amenés à analyser à nouveau les informations peu nombreuses dont nous disposons et à redéfinir les besoins. Nous transformons l’intention première en une intention plus pragmatique. Il s’agira, avant de communiquer, de savoir à qui l’on doit communiquer et comment l’objet technique pourra devenir un produit, une solution trouvant sa place sur un marché. Bref, il s’avère que la priorité de l’instant pour XXXXXX n’est pas d’informer sur son produit mais plutôt de repérer les segments d’accès afin, comme le conseille Paul Millier, d’y acquérir une compétence avant d’entreprendre les segments à plus forts enjeux.
 
Pour cela il faut communiquer sur le procédé de façon très ouverte. N’oublions pas que pour l’instant il ne correspond à aucun besoin. Et puis il faut recueillir des informations, nous en manquons cruellement (quels pourraient être les besoins, comment est perçu le procédé,…)
 
Ensuite il faut trouver des partenaires. En effet, Paul Millier préconise d’assurer la phase transformation objet technique/produit avec un « client à logique technique » parce que ce dernier peut être assez enthousiaste pour finaliser le développement.
 On se trouve bien alors dans cette étape transitoire décrite par Millier, où  le projet continue à être géré au niveau technique  alors que les aspects marketing commencent à être influents. Cette phase peut s’étendre dans le temps, peut-être plus pour XXXXXX, si on considère les informations issues de l’analyse communicationnelle mais aussi parce que la structure ne repose que sur une personne. L’effort, en regard de la taille de l’entreprise, paraît surdimensionné.
 
7 Approche conceptuelle
 
Nous décidons donc de produire un outil qui tiennent compte de ces contraintes et qui puisse surtout s’inscrire dans la stratégie du marketing de l’innovation technologique selon l’approche de Paul Millier.
 

Devant l’absence d’étude de marché, nous décidons d’imaginer un outil qui soit capable de remplir cette mission.

stipule que la création de connaissance naît de l’interaction entre le sujet connaissant et l’objet observé. C’est ce que nous remarquons par l’enrichissement conjugué de nos représentations propres véhiculées par notre intentionnalité.

 
Nous sommes concepteurs et analystes de notre propre conception. Cette complexité se conjugue à d’autres niveaux de complexité qui concernent les interactions dans le système et avec ses contextes . L’analyse des communications avait soulevé la potentialité de problèmes qui se déroulent maintenant sous nos yeux. Nous devons aussi être des décideurs. De ce fait, nous recueillons des pressions multiples . Nous sommes victimes de l’effet « boule de neige ». Si notre commanditaire subit des pressions, elles retombent inévitablement sur nous.
 
Nous sommes donc en prise avec bien des paradoxes. Etudiants/décideurs soumis au combat de l’objectivité/subjectivité, à la pression de nos commanditaires et à celles des commanditaires de nos commanditaires, traitant une information qui n’existe pas (donc que l’on doit créer) ou qu’on ne peut divulguer (confidentialité, résultats « disparus » d’actions antérieures,…).

Il est évident que les niveaux de complexité que nous avons révélés ne peuvent être traités simplement.
 

 7.3 La complexité pour mieux « réfléagir »
 

La complexité maintenant mise à jour et prise en compte devient elle aussi un acteur.

Nous concevons donc avec elle notre manière de concevoir. L’action doit être force de proposition, s’auto-argumentant en même temps qu’elle se construit, se déconstruisant pour mieux se reconstruire jusqu’à trouver l’argumentation adéquate. C’est ce que j’appelerais la « révolaction », la possibilité de créer de nouveaux possibles par la force  de l’ imagination, des connaissances se construisant et de la réflexion confondues sans qu’il y ait entre eux hiérarchisation, nous démarquant en cela du modèle analytique si prégnant.

 

7.3.1 Approche stratégique par la modélisation systémique de la complexité

Pour y voir plus clair, modélisons. Pour Karl Marx, modéliser, c’est «… construire dans sa tête… » . Jean-Louis Le Moigne précise que « modéliser, c’est à la fois identifier et formuler des problèmes en construisant des énoncés et chercher à résoudre ces problèmes en raisonnant par des simulations » . Construire dans sa tête, c’est déjà anticiper. Anticiper l’action, c’est aussi construire la connaissance qui lui permettra d’advenir.

« Au commencement est l’action ». Vous souvenez vous de cette première phrase du « Faust » de Goethe ? Le concept de base de la modélisation systémique est l’action nous dit aussi Le Moigne.

Après avoir choisi sa méthode, le modélisateur peut donc entreprendre. Petit à petit, il peut décrire les processus qu’il concocte et la caractérisation peut même intervenir en aval. Ce qui signifie que l’on ne sait pas toujours exactement ce qu’élaborera le processus. Mais c’est en le faisant qu’on le comprend C’est ainsi que la modélisation du système complexe va prendre forme, par modifications successives obtenues entre autres par son auto-enrichissement informationnel. Il s’agit de la stratégie de l’action stratégique !

Kenneth Boulding distingue neuf niveaux de classification de l’état d’un système que l’on peut résumer ainsi : chemin faisant, le système devient capable de générer et de mémoriser des informations. Ses instances décisionnelles pourront s’appuyer sur ces bases auto-produites. Le système peut aussi se complexifier et se développer en sous-systèmes (sous-sytème de pilotage, d’information, de décision). En se coordonnant et en s’imaginant, il saura s’autofinaliser.
Cette heuristique va permettre de déterminer quelques activités possibles car même s’ils sont flous à ce stade, il convient de définir des objectifs.
 
7.3.2 Emergence du modèle conceptuel
 

Peu à peu se forme une vision du modèle conceptuel. Jean-Louis Le Moigne parle de l’aspect projectif de la modélisation . Les 3 axiomes de la modélisation systémique (opérationnalité téléologique, irréversibilité téléologique et récursivité) forment une conjonction qui établit de « tenir pour inséparables le fonctionnement et la transformation d’un phénomène, des environnements actifs dans lesquels il s’exerce et des projets par rapport auxquels il est identifiable ».

Ce processus de création dynamique oblige à revenir sans cesse sur l’ouvrage par les feed-back (interactions ) qui s’opèrent entre ce que Le Moigne nomme « les intrants » et les « extrants ». En effet, une donnée de départ, en se transformant, produira une nouvelle idée qui sera recyclée dans l’ensemble des connaissances et des expériences déjà acquises. Concernant ce point, il est intéressant de garder la trace de toutes les ébauches de travail et ceci pour plusieurs raisons : d’abord parce qu’on peut avoir envie de revenir sur un aspect  développé à un moment inopportun alors qu’il peut s’avérer central par la suite. Et puis cette évolution ne traduit-elle pas une mémoire collective qui fera trace ?

 Il convient de préciser que la phase de conception est en interaction avec toutes les autres activités et c’est ce qui en fait une approche systémique comme signalée par les axiomes relevés par Le Moigne. Nous soulignerons ici l’aspect de l’opérationnalité téléologique qui reflète la pensée de H.A. Simon expliquant que ce n’est pas tant la résolution du cas qui est la gageure mais plutôt la transformation.
 
8 L’organisation active

Maintenant que nous avons traité de l’activité du système, nous pouvons évoqué son organisation. Pour Le Moigne, il est le concept central d’un système complexe. Plus précisément il s’agit d’un concept d’organisation active qu’Edgar Morin avait qualifié d’ « organis-action ».

On appréhende généralement l’autonomie de l’organisation dans la récursivité des 3 actions de base, ce qui donne : « fonctionner et se transformer, ET, maintenir et se maintenir ET relier et se relier, ET produire et se produire ». Il faut relire « La méthode » d’Edgar Morin pour appréhender l’importance capitale de cette notion de conjonction. C’est ainsi que nous agissons, quitte à refaire de nouvelles approches car c’est en faisant que l’on s’aperçoit de l’effectivité ou pas du dispositif se créant alors que se créent parallèlement de nouvelles visions de ce dispositif. Pas simple pour l’élaboration du cahier des charges…Il faut savoir anticiper mais aussi savoir qu’on ne peut rien promettre.

 
9 La métaphore du champ artistique
 

Il est clair que la méthode à beaucoup à voir avec le champ artistique et nous pouvons comparer notre travail à certaines formes d’approche dans le monde cinématographique, théâtral, musical, littéraire ou encore dans celui des arts plastiques. Bref, là où l’incertitude est aussi de mise.

Ainsi le réalisateur anglais Mike Leigh ne construit-il pas de scénarios en amont. Il invite quelques acteurs à improviser et garde mémoire de leurs mouvements et de leurs mots pour élaborer la trame de ses histoires. Chemin faisant, le scénario se crée, rendant compte de la complexité du réel. C’est également cette complexité du réel qui guide les pas de bon nombre de documentaristes (le fameux cinéma-vérité cher à Jean Rouch avec qui Edgar Morin avait collaboré).

Certains musicologues ont pointé aussi le paradigme de la complexité en action, notamment dans le jazz .

 
 
Fig. 6 : Thelonious Monk, la complexité en action
 

Et que dire de l’écrivain devant sa feuille blanche ?

Ce qu’il y a de commun dans toutes ces démarches et dans notre projet, c’est que la décision est remplacée par l’action car la construction du sens donne directement à l’action des orientations lui permettant de s’auto-dérouler. Comme pour notre projet, l’action s’engage vers une finalité mais non dans la volonté de trouver une solution optimale, une « réalité de premier degré » pour reprendre Watzlawick.. C’est vraiment ce qui se passe par exemple en jazz session ou lors d’un bœuf musical dans un quelconque registre.

Ici, comme dans le champ artistique, la place des acteurs n’est pas neutre car ils participent à la construction du système. Les relations ne s’établissent pas unilatéralement mais elles sont récursives et interactives.
 

C’est ainsi que nous entrevoyons notre dispositif, apportant finalement une solution systémique à l’approche marketing.

 
10 Résistances au changement
 

Il n’est pas simple d’utiliser de telles méthodes puisqu’elles produisent des fonctionnements nouveaux qui, force est de le constater, déstabilisent la plupart. Comment en effet, pour reprendre l’exemple de notre réalisateur anglais,  convaincre un producteur en l’absence de scénarios ?

Les hommes aiment les cadres et les pratiques établis car ils y trouvent refuge. Les représentations cartésiennes ont encore le vent en poupe. Ne pourrait-on former plus amplement à la pensée complexe ? Ainsi il nous semble pertinent de réfléchir avec Edgar Morin (dans le champ de l’écologie de l’action humaine) et Jean-Louis Le Moigne à « la conscience du fait que tout acte s’engageant engendrera toujours des effets non anticipés et souvent non désirés… » .

Les chercheurs fournissent souvent des modèles trop conceptuels et on ne peut pas dire qu’ils prêchent par l’exemple.

Prendre part à ce projet pour l’entreprise est formateur mais sa finalité attendue reste surtout le succès de son innovation, c'est-à-dire sa réussite économique. Il serait intéressant qu’elle adopte une vision plus globale de son évolution.
 Au niveau de l’action, le travail en groupe est plus périlleux car il n’existe pas à priori de vision commune, tout s’inventant en cours de route.
 
11 Des projets pour le monde, un monde en projet

S’il semble y avoir dislocations entre les phénomènes, accélérant la sensation de complexité, l’approche systémique, en prenant en compte « l’inter » dans une vision anti-manichéenne semble tisser des liens dans l’univers (mais peut-être ne fait-elle que les restaurer…).

L’apparente évidence de mondes touchant à leurs fins est donc contredite par cette pensée complexe qui postule que ce qui est observable est élaboré par un point de vue. En construisant son environnement, l’acteur y inscrit sa responsabilité.

 
12 Conclusion
 

En tant qu’acteurs d’une recherche sur notre propre action, nous avons pu varier nos points de vue et accéder à des réalités différentes. En proposant de rendre compte de l’approche systémique en conduite de projet, plus spécifiquement dans le domaine entrepreneurial, nous pouvons suggérer un constat au niveau épistémologique et au niveau pragmatique.

Tout d’abord, nous constatons que les différences de positionnement épistémologiques concernant l’approche théorique des systèmes nous ont obligé à composer autrement pour avancer. Les Sciences de la gestion sont encore ancrées dans une approche analytique même si nous constatons de-ci delà des changements notables. Le paradigme de complexité, pourtant central en Sciences de l’Information et de la Communication, ne s’est conscientisé que tardivement dans nos esprits, d’où un piétinement assez stressant. Les théories ont permis la reformulation d’une problématique qui sans elles serait passée à côté de sa propre complexité. Cette prise en compte est centrale pour aborder pleinement l’aspect organisationnel, particulièrement au niveau de la conception.
 
La question centrale de cet article était de savoir si l’on pouvait appliquer l’approche systémique à tous les stades de la conduite de projet. Nous constatons d’une part que la vision systémique délivre des horizons satisfaisants mais aussi que les recherches n’ont pas été entreprises dans tous les domaines. Elles s’imposent pourtant dans tous les champs de la connaissance. Certes, il n’est pas question de construire une méthodologie standardisée, cela n’est guère possible et certainement pas souhaitable. Aussi, si nous préconisons l’approche systémique, il convient de préciser que certains passages sont à inventer !

Nous constatons que si le concept de la pensée complexe est prégnant dans le monde de l’éducation, une sensibilisation serait nécessaire dans d’autres domaines, en particulier dans celui de l’entreprise. Car adopter la méthode est un fait, la faire adopter en est un autre.
A travers le projet XXXX, nous en avons vécu un autre, celui de produire un système expérimental axé autour du concept de l’intelligence de la complexité .

Catherine Gheselle

 
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27 janvier 2006 5 27 /01 /janvier /2006 16:28
(suite)

Cette approche permet de comprendre que ce n’est pas tant une solution qu’il faut trouver à un problème mais qu’il est plus enrichissant de changer les représentations que l’on en a.

 
Grâce à ce cas d’étude, nous avons pu avoir une attitude réflexive sur notre fonction à travers une recherche collaborative. L’approche systémique et le développement de la pensée complexe nous ont permis de faire varier nos modes d’interventions et nos rapports dialogiques, de composer avec les contradictions et de remettre en cause notre mode de fonctionnement. 

 

Catherine Gheselle

 

Bibliographie

R.L.Stevenson              Voyage avec un âne dans les Cévennes, 1879

E.Morin                       La Pensée complexe, ESF Editeur, 1990

G.Bachelard                 La formation de l’esprit scientifique                                       LibrairiePhilosophiqueJ.Vrin,1983

Paul Millier                   Stratégie et marketing de l’innovation technologique, Dunod, 1997

A.Mucchielli                 Approche par la modélisation des relations, A. Colin,                                       2004

A.Mucchielli                  La Nouvelle communication, A.Colin, 2000

A.Mucchielli                  Approche systémique et communicationnelle des              organisations,Colin,98

E.Morin                        Revue Chimères n°5/6, 1998

J.-L. Le Moigne             La modélisation des systèmes complexes, Dunod, 1995

E.Morin                        La complexité humaine, Flammarion, 1994

E.Morin et J-L Le Moigne L’intelligence de la complexité, L’Harmattan, 1999

J.Piaget                       Biologie et connaissance, Gallimard, Idées n°288

K.Marx                         Le Capital, Livre 1. Ed. Pléiade Œuvres T.1

Goethe                        Faust, 1832

H.A. Simon                   Article « L’architecture de la complexité » dans The       Sciences of the artificial, 1969

M.Y. Bonnet                « Le jazz, musique improvisée, exemple de création           et d'innovation, article paru  dans  Interlettre Chemin       Faisant MCX-APC », n°27, Mars 2005

P.Watzlawick             La nouvelle communication, Points, 1981

 

 

Netographie

mcxapc.org                Association pour la pensée complexe

revue-chimeres.org      Site de la revue Chiméres

 

 

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16 novembre 2005 3 16 /11 /novembre /2005 11:07
Vol d'étourneaux sansonnets stylisé - Catherine Gheselle

1. Introduction


Avez-vous déjà vu passer un vol d'étourneaux sansonnets ? C'est un spectacle à nul autre pareil car il nous questionne sur l'intelligence collective.

Comment peut-on expliquer les mouvements collectifs des étourneaux et leurs grands rassemblements ? Est-ce que tout cela compose avec une organisation, une hiérarchie ? Est-ce que les oiseaux forment des groupes spontanément ? Sont-ils solidaires et ont-ils le souci de leurs prochains ? Est-ce que leurs mouvements sont liés à un souci d'efficacité ?

Gare de Limoges - Vol d'étourneaux sansonnets - Catherine GheselleA travers ces questionnements se dessine un parallèle avec l'activité humaine et plus précisément avec la gestion de projet, et plus particulièrement l'organisation dans le monde du travail. Je me suis demandée s'il était possible d'établir une relation de proximité entre  l'activité des oiseaux et celle des  hommes. 

Pour cela , je me propose d'étudier  le fonctionnement des uns
et des autres en situation collaborative lors d'un projet commun. Pour les premiers, il s'agit de ces grands déplacements et pour les autres, je choisirai une activité sociétale qui permet de mettre en oeuvre l'intelligence collective.






Limoges-Juillet 2006 : rassemblement
près de la gare vers 19 heures.



2. Etourneau sansonnet, qui es-tu ?
Etourneau sansonnet, qui es-tu ? Photo Catherine Gheselle
Si je me permets de te tutoyer c'est qu'il me semble que quelque chose nous unit. Tu sembles aimer les grands projets, les voyages, tu sembles avoir le souci de l'autre. Et surtout, tu sembles aimer bavasser avec les copains le soir dans les rues des villes.

                                        Nîmes - Septembre 2006 : rassemblement dans les
                                                            platanes vers 19 heures


 

Catherine Gheselle
En cours d'élaboration.
A suivre...

Ecriture collaborative ou informations complémentaires sur le sujet bienvenues !



                                       
                                               

                                                                                                      

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